L'expropriation : quand l'intérêt général prime sur la propriété privée
Vous êtes propriétaire d'un terrain ou d'un immeuble et vous recevez un jour une lettre recommandée vous informant d'un projet d'expropriation par les pouvoirs publics. Motif invoqué : la réalisation d'un ouvrage d'utilité publique (route, ligne de chemin de fer, hôpital...) qui nécessite de récupérer votre bien. Une situation stressante et déstabilisante, qui remet en cause votre droit fondamental à la propriété privée !
Pourtant, l'expropriation est une procédure légale encadrée par le Code de l'expropriation, qui permet à l'État et aux collectivités locales de s'approprier des biens immobiliers, moyennant une juste et préalable indemnité. C'est une prérogative de puissance publique justifiée par la poursuite de l'intérêt général, qui prime ici sur l'intérêt particulier.
Mais concrètement, dans quels cas l'expropriation est-elle possible ? Qui peut exproprier et pour quels projets ? Comment se déroule la procédure et peut-on s'y opposer ? Sur quels critères est fixée l'indemnité et comment la contester ?
Guy Hoquet vous informe sur cette atteinte légale mais encadrée à votre droit de propriété !
Définition et champ d'application de l'expropriation
L'expropriation pour cause d'utilité publique est une procédure administrative par laquelle une personne publique (État, collectivité territoriale, établissement public) peut contraindre un propriétaire privé à lui céder son bien immobilier, en contrepartie d'une indemnité, afin de réaliser un projet d'intérêt général.
C'est une exception au caractère inviolable et sacré du droit de propriété, consacré par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (art. 17). Ce transfert forcé de propriété n'est admis que sous trois conditions strictes :
⚈ Une cause d'utilité publique légalement constatée (par déclaration d'utilité publique ou décret en Conseil d'État).
⚈ Le versement d'une juste et préalable indemnité couvrant l'intégralité du préjudice subi.
⚈ Le respect d'une procédure contradictoire permettant au propriétaire de faire valoir ses droits.
Concrètement, l'expropriation peut concerner tous types de biens immobiliers : terrains nus, immeubles bâtis, locaux d'habitation ou professionnels, biens ruraux ou urbains... Mais aussi certains droits réels immobiliers : usufruit, servitudes, baux commerciaux, droits de pacage...
Elle doit toujours avoir une finalité d'utilité publique, c'est-à-dire viser la réalisation de projets ou travaux présentant un intérêt général supérieur à celui du propriétaire privé. Par exemple :
⚈ La construction d'infrastructures de transport : routes, autoroutes, voies ferrées, aéroports, canaux...
⚈ La création d'équipements publics : hôpitaux, écoles, stades, cimetières, réseaux d'eau ou d'électricité...
⚈ L'aménagement d'opérations d'urbanisme : zones d'aménagement concerté (ZAC), lotissements, rénovations urbaines...
⚈ La protection de l'environnement : parcs nationaux, réserves naturelles, prévention des risques...
⚈ La préservation du patrimoine : monuments historiques, sites classés...
L'utilité publique du projet s'apprécie au cas par cas, en fonction de son intérêt économique, social ou environnemental, de son opportunité, de son coût et de ses inconvénients. Elle doit être suffisante pour justifier une atteinte aussi grave au droit de propriété.
Bon à savoir : l'expropriation ne doit être utilisée qu'en dernier recours, quand l'acquisition amiable ou d'autres alternatives (préemption, délaissement...) ont échoué. La cession forcée n'est envisageable que si elle est absolument nécessaire à la réalisation du projet d'intérêt général.
Exemple : Dans le cadre du projet de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin, SNCF Réseau a engagé une procédure d'expropriation pour acquérir les terrains nécessaires au passage des voies et à la construction des gares. Les propriétaires concernés, principalement des agriculteurs et des particuliers, ont été informés par courrier et convoqués pour une enquête publique. Malgré l'opposition de certains, le projet a été déclaré d'utilité publique compte tenu de son intérêt pour le développement économique et l'aménagement du territoire.
La procédure d'expropriation étape par étape
La procédure d'expropriation se déroule en deux phases principales : une phase administrative pour déclarer l'utilité publique du projet, et une phase judiciaire pour prononcer le transfert de propriété et fixer les indemnités.
1. Phase administrative :
⚈ L'expropriant définit le projet et son périmètre, et réalise les études préalables (impact, coût, financements...).
⚈ Le préfet prend un arrêté d'ouverture d'enquête publique et nomme un commissaire enquêteur.
⚈ Le commissaire organise l'enquête publique pendant un mois minimum : dossier consultable en mairie, registre pour consigner les observations, permanences, réunions publiques...
⚈ À l'issue de l'enquête, le commissaire rédige un rapport et donne son avis sur l'utilité publique du projet (favorable ou défavorable).
⚈ Au vu du rapport, le préfet prend un arrêté de cessibilité déclarant l'utilité publique du projet et listant les parcelles à exproprier.
⚈ L'arrêté fait l'objet d'une publicité (affichage en mairie, publication dans la presse) et d'une notification individuelle à chaque exproprié.
⚈ Les expropriés ont alors 1 mois pour faire connaître leur acceptation ou leur refus de la cessibilité.
2. Phase judiciaire :
⚈ L'expropriant saisit le juge de l'expropriation (juge d'instance) pour prononcer le transfert de propriété.
⚈ Le juge convoque les parties à une audience publique pour vérifier la régularité de la procédure et évaluer les biens.
⚈ Il rend une ordonnance d'expropriation transférant la propriété à l'expropriant et fixant les indemnités provisionnelles.
⚈ L'ordonnance est notifiée aux parties et publiée au fichier immobilier. Elle est exécutoire de plein droit.
⚈ L'expropriant consigne les indemnités à la Caisse des Dépôts et Consignations, à disposition des expropriés.
⚈ En cas de désaccord sur le montant des indemnités, les parties peuvent saisir le juge de l'expropriation pour fixer les indemnités définitives, dans un délai de 6 mois.
⚈ Le juge statue après une visite des lieux, une audience et une expertise, en tenant compte de la valeur réelle des biens et de l'intégralité des préjudices.
⚈ Sa décision est susceptible d'appel devant la Cour d'Appel, puis de pourvoi en cassation.
Tout au long de la procédure, l'expropriant doit rechercher une acquisition amiable avec les propriétaires, en leur faisant des offres sérieuses basées sur l'estimation des Domaines ou d'un expert. S'ils parviennent à un accord, il est matérialisé par un traité d'adhésion qui vaut transfert de propriété.
Les propriétaires peuvent aussi demander au juge de prononcer l'emprise totale de leur bien si l'expropriation le rend impropre à sa destination ou en réduit fortement la valeur. Une fois l'ordonnance définitive rendue et l'indemnité payée, l'expropriant peut prendre possession matérielle des biens, au besoin avec le concours de la force publique. Les expropriés doivent quitter les lieux et enlever leurs meubles et récoltes.
Bon à savoir : les locataires (habitation ou commercial), usufruitiers et autres titulaires de droits réels sur les biens expropriés peuvent aussi prétendre à une indemnité pour compenser la perte de leur droit. Ils sont convoqués à la procédure au même titre que les propriétaires.
La procédure d'expropriation est donc longue (18 mois minimum) et complexe. Elle doit concilier l'intérêt général et les droits des expropriés, dans le respect des principes du contradictoire et d'une juste indemnisation. Un parcours du combattant !
L'indemnisation de l'expropriation
L'indemnité d'expropriation est la contrepartie financière versée par l'expropriant au propriétaire et aux titulaires de droits réels, pour compenser l'intégralité du préjudice causé par la dépossession forcée de leur bien.
Son montant doit être juste et préalable, c'est-à-dire :
⚈ Couvrir la valeur réelle du bien exproprié au jour de l'ordonnance d'expropriation, en tenant compte de ses caractéristiques (surface, état, situation, potentiel...) et des prix du marché (comparables, transactions récentes...).
⚈ Indemniser tous les préjudices directs et certains liés à l'expropriation : perte de jouissance, trouble commercial, frais de déménagement et de réinstallation...
⚈ Être versé avant la prise de possession du bien par l'expropriant, qui doit consigner les fonds à la Caisse des Dépôts et Consignations.
L'indemnité est évaluée par le juge de l'expropriation, sur la base :
⚈ De l'estimation de l'administration des Domaines (France Domaine), obligatoire pour les expropriants publics.
⚈ Des offres de l'expropriant notifiées au propriétaire et aux titulaires de droits réels.
⚈ Des demandes des expropriés justifiées par des mémoires et des pièces (factures, devis, expertises privées...).
⚈ D'une visite des lieux et d'une audience publique permettant aux parties de s'exprimer.
⚈ D'une expertise judiciaire confiée à un expert immobilier inscrit, en cas de désaccord persistant.
Le juge fixe l'indemnité en tenant compte de la réalité du préjudice au jour de l'ordonnance d'expropriation. Il doit indemniser distinctement :
⚈ La valeur vénale du bien (prix du marché), en fonction de sa surface, de son état, de sa situation et de son usage effectif ou potentiel.
⚈ L'indemnité de remploi destinée à couvrir les frais de réinstallation dans un bien équivalent (frais de notaire, droits d'enregistrement, travaux d'adaptation...). Elle est de 20% pour les biens ruraux et de 15% pour les biens urbains.
⚈ Les indemnités accessoires pour les préjudices matériels et certains : perte de récoltes, dépréciation du reliquat de propriété, trouble commercial pour les fonds de commerce et artisanaux...
En revanche, l'indemnité ne tient pas compte de :
⚈ La valeur sentimentale du bien (attaches familiales, souvenirs...)
⚈ La plus-value apportée par l'annonce du projet d'utilité publique
⚈ Les constructions et améliorations réalisées après l'ouverture de l'enquête publique (sauf si elles étaient nécessaires)
⚈ Les changements de valeur (hausse ou baisse) postérieurs à l'ordonnance d'expropriation
En moyenne, l'indemnité d'expropriation représente entre 110% et 130% de la valeur vénale du bien, avec de fortes variations selon les situations et les préjudices.
Si l'exproprié conteste le montant fixé par le juge, il peut faire appel dans le mois suivant la notification, puis se pourvoir en cassation. Le juge d'appel est saisi de l'ensemble des chefs d'indemnisation, il peut donc revoir le montant à la hausse comme à la baisse. Prudence donc !
Bon à savoir : l'indemnité d'expropriation est imposable à l'impôt sur la plus-value immobilière si elle dépasse le prix d'acquisition ou la valeur vénale déclarée du bien. Mais des exonérations existent pour la résidence principale, les biens détenus depuis plus de 30 ans ou en cas de réemploi dans les 12 mois. Pensez à vous renseigner !
Guy Hoquet répond à vos questions sur l'expropriation
Comment contester l'utilité publique d'une expropriation ?
Quel est le délai pour quitter son logement en cas d'expropriation ?
Puis-je refuser le montant de l'indemnité d'expropriation ?
L'expropriation est-elle possible pour réaliser des logements sociaux ?
L'essentiel à retenir sur l'expropriation
1. L'expropriation est une procédure légale qui permet à une personne publique de s'approprier un bien immobilier privé, en contrepartie d'une juste et préalable indemnité, pour réaliser un projet d'utilité publique.
2. Pour être valable, l'expropriation doit être justifiée par une cause d'utilité publique déclarée par arrêté préfectoral ou décret en Conseil d'État, après enquête publique. L'intérêt général du projet doit primer sur l'intérêt privé.
3. La procédure se déroule en deux phases : une phase administrative pour définir le projet, les biens à exproprier et l'utilité publique, et une phase judiciaire pour prononcer le transfert de propriété et fixer les indemnités.
4. L'indemnité d'expropriation doit couvrir l'intégralité du préjudice subi par l'exproprié : valeur vénale du bien, frais de remploi, préjudices accessoires... Elle est fixée par le juge et consignée avant la prise de possession.
5. L'exproprié peut contester l'utilité publique du projet en amont (recours gracieux, recours pour excès de pouvoir), et son indemnisation en aval (fixation judiciaire, appel, cassation). Mais ces recours sont rarement suspensifs.
Alors, prêts à défendre vos droits si un jour un projet d'utilité publique vient frapper à votre porte ? Même pour la bonne cause, se faire déposséder de son bien est toujours une épreuve. D'où l'importance de bien connaître la procédure et ses garde-fous.
Et n'hésitez pas à vous faire assister par des professionnels (notaire, avocat, expert immobilier...) pour évaluer la faisabilité du projet, négocier avec l'expropriant, et obtenir la meilleure indemnisation possible. Votre agent immobilier Guy Hoquet est aussi là pour vous conseiller et vous accompagner tout au long du processus. Car même d'utilité publique, une expropriation ne doit pas se faire au détriment de vos droits fondamentaux !