Usufruit

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L'usufruit : un droit de jouissance temporaire sur un bien immobilier

Vous avez peut-être déjà entendu parler d'usufruit dans le cadre d'une succession, d'une donation ou d'un investissement immobilier.

Mais savez-vous exactement ce que recouvre cette notion juridique ? Quels droits confère-t-elle sur un bien et pour combien de temps ? Et quelles sont les contreparties fiscales ? Guy Hoquet vous éclaire.

Définition : qu'est-ce que l'usufruit ?

L'usufruit est un droit réel qui permet à son titulaire (l'usufruitier) d'utiliser un bien immobilier ou mobilier et d'en percevoir les fruits (revenus), sans pour autant en être le propriétaire.

C'est une forme de démembrement de propriété, qui sépare temporairement les prérogatives du propriétaire entre deux personnes :

  • L'usufruitier, qui a le droit d'usage et de jouissance du bien. Il peut l'occuper, le louer, en récolter les fruits naturels (récoltes, bois...) et civils (loyers, intérêts...). Mais il ne peut pas le vendre, le donner ou le détruire. 
  • Le nu-propriétaire, qui conserve le droit de disposer du bien (vente, donation, legs...) et de récupérer la pleine propriété au terme de l'usufruit. Mais il ne peut pas utiliser le bien ni en percevoir les revenus tant que dure l'usufruit.

L'usufruit est donc un droit temporaire, qui prend fin à une date ou à un événement déterminé. Les causes d'extinction de l'usufruit sont :

  • Le décès de l'usufruitier (sauf clause de réversion)
  • L'expiration du terme prévu (usufruit à durée fixe)
  • La réunion des deux qualités d'usufruitier et de nu-propriétaire sur une même tête
  • Le non-usage du droit pendant 30 ans (prescription)
  • La perte totale du bien objet de l'usufruit

À l'extinction de l'usufruit, la pleine propriété du bien se reconstitue automatiquement entre les mains du nu-propriétaire, sans formalité particulière.

Exemple : Suite au décès de son père, Laura hérite de la nue-propriété de la maison familiale. Sa mère en conserve l'usufruit jusqu'à son propre décès. Pendant cette période, sa mère peut continuer à vivre dans la maison ou à la louer et en percevoir les loyers. Mais elle ne peut pas la vendre sans l'accord de Laura. À son décès, Laura récupèrera automatiquement la pleine propriété de la maison.

Comment établir un usufruit ?

L'usufruit peut être établi de différentes manières :

  • Par la loi : c'est le cas de l'usufruit légal du conjoint survivant sur le logement familial et son mobilier. Depuis la loi du 3 décembre 2001, le conjoint a le droit d'utiliser gratuitement ces biens sa vie durant, même s'il n'en est pas propriétaire.
  • Par convention : l'usufruit conventionnel résulte d'un contrat entre le propriétaire et l'usufruitier, généralement une vente ou une donation. Le propriétaire peut céder à un tiers l'usufruit de son bien pour une durée déterminée (ex : vente d'usufruit temporaire) ou le donner à un proche en conservant la nue-propriété (ex : donation avec réserve d'usufruit).
  • Par testament : le propriétaire peut léguer l'usufruit d'un bien à une personne et la nue-propriété à une autre par testament. C'est une façon d'avantager temporairement un proche (conjoint, enfant...) tout en transmettant la propriété à un tiers.
  • Par décision de justice : dans certains cas (divorce, indivision successorale...), le juge peut attribuer l'usufruit d'un bien à un époux ou un héritier et la nue-propriété à un autre, si le partage en pleine propriété n'est pas possible ou souhaitable.

Quel que soit son mode de constitution, l'usufruit prend effet au jour fixé par la loi, la convention, le testament ou le juge. Il ne nécessite aucune publication au fichier immobilier (ex-conservation des hypothèques), sauf s'il excède 30 ans.

Pour être opposable aux tiers, l'usufruit conventionnel doit cependant être constaté par un acte notarié s'il porte sur un immeuble, et signifié au débiteur ou accepté par lui dans un acte authentique s'il porte sur une créance.

Quels sont les droits et obligations de l'usufruitier ?

L'usufruitier a des prérogatives étendues sur le bien, proches de celles d'un propriétaire :

  • Il peut utiliser le bien comme il l'entend, à condition de ne pas en changer la destination ni la substance. Il doit en jouir "en bon père de famille", c'est-à-dire avec prudence et diligence.
  • Il peut donner le bien en location et en percevoir les loyers, sans avoir à en rendre compte au nu-propriétaire. Il est libre de choisir le locataire et de fixer le montant du loyer, dans le respect de la loi et des usages locaux.
  • Il peut exploiter les biens frugifères (terres agricoles, forêts...) et en récolter les fruits, à condition de respecter leur destination et de ne pas épuiser leur substance.
  • Il peut percevoir les revenus des biens incorporels (parts sociales, actions, obligations...) et les consommer sans avoir à les restituer.
  • Il peut disposer librement des meubles qui se détériorent par l'usage (linge, vaisselle, outillage...), à charge de les remplacer.

Mais l'usufruitier a aussi des obligations, qui sont la contrepartie de ses droits :

  • Il doit conserver la substance du bien, c'est-à-dire ne pas le dégrader ni en changer la destination. Il ne peut pas le transformer, le démolir ou l'altérer de manière durable.
  • Il doit entretenir le bien et effectuer les réparations d'entretien (menuiseries, peintures, plomberie...), à l'exclusion des grosses réparations qui restent à la charge du nu-propriétaire.
  • Il doit acquitter les charges courantes liées à la jouissance du bien : assurances, impôts locaux, charges de copropriété, intérêts des emprunts...
  • Il doit restituer le bien en bon état en fin d'usufruit, à l'exception de l'usure normale.
  • Il doit informer le nu-propriétaire des actes importants concernant le bien (travaux, baux, procès...).

L'étendue des droits et obligations de l'usufruitier peut être aménagée par la convention d'usufruit (ex : prise en charge des grosses réparations, renonciation au droit de location...). Mais certaines règles d'ordre public ne peuvent pas être écartées.

En cas de conflit entre usufruitier et nu-propriétaire, il appartient au juge de trancher en recherchant un juste équilibre entre les intérêts en présence. Un recours à la médiation peut aussi être envisagé.

Quels sont les avantages et inconvénients de l'usufruit ?

L'usufruit présente des intérêts différents pour l'usufruitier et le nu-propriétaire :

Pour l'usufruitier, c'est un moyen :

  • De conserver l'usage et les revenus d'un bien dont on n'a plus besoin en capital
  • De transmettre un patrimoine à ses héritiers tout en gardant le contrôle et les fruits jusqu'à son décès
  • De sécuriser son conjoint en lui assurant le maintien dans les lieux au décès
  • De diminuer le coût d'achat d'un bien en n'acquérant que l'usufruit

Mais l'usufruit a aussi des contraintes pour l'usufruitier :

  • Il est temporaire et ne permet pas une maîtrise complète du bien
  • Il engendre des obligations d'entretien et de conservation
  • Il donne lieu à une taxation des revenus générés par le bien
  • Il nécessite l'accord du nu-propriétaire pour les actes de disposition

Pour le nu-propriétaire, l'usufruit est un moyen :

  • D'anticiper sa succession en transmettant un bien à ses héritiers de son vivant
  • De alléger les droits de mutation dus par les bénéficiaires grâce à l'abattement lié à la nue-propriété
  • De différer le paiement de l'IFI (impôt sur la fortune immobilière), la nue-propriété étant exonérée pendant la durée de l'usufruit
  • De déduire la valeur de l'usufruit de la valeur en pleine propriété lors de la revente

Mais le nu-propriétaire doit aussi composer avec les limites de la nue-propriété :

  • Il n'a pas l'usage ni la jouissance du bien tant que dure l'usufruit
  • Il ne perçoit pas les revenus générés par le bien (loyers, intérêts...)
  • Il ne peut pas disposer librement du bien sans l'accord de l'usufruitier
  • Il doit assumer les grosses réparations (gros murs, toiture, voûtes, poutres...)

L'usufruit est donc un outil de gestion et de transmission patrimoniale intéressant mais complexe, qui doit être manié avec précaution. Il impose une cohabitation dans la durée entre usufruitier et nu-propriétaire, qui ne partagent pas toujours les mêmes intérêts ni la même vision du bien. D'où l'importance de bien rédiger la convention d'usufruit et d'anticiper les situations conflictuelles.

Comment est taxé l'usufruit ?

L'usufruit donne lieu à une imposition différente pour l'usufruitier et le nu-propriétaire.

Pour l'usufruitier :

  • Les revenus du bien (loyers, fermages, intérêts...) sont imposés dans la catégorie correspondante (revenus fonciers, bénéfices agricoles, revenus de capitaux mobiliers...) au nom de l'usufruitier. C'est lui qui déclare et paie l'impôt.
  • Les plus-values réalisées lors de la vente du bien sont imposées au nom de l'usufruitier (sauf si la vente est consentie par le nu-propriétaire). L'assiette est calculée sur la valeur de la pleine propriété, sauf si l'usufruit a été acquis à titre onéreux.
  • L'usufruitier est redevable des impôts locaux (taxe foncière, taxe d'habitation) et de l'IFI (impôt sur la fortune immobilière) sur la valeur de l'usufruit, calculée selon un barème fiscal en fonction de son âge.
  • En cas de vente ou de donation de l'usufruit, l'usufruitier est imposable sur la valeur fiscale de l'usufruit, déterminée par un barème en fonction de son âge (de 10 à 70% de la valeur en pleine propriété).

Pour le nu-propriétaire :

  • Les revenus du bien ne sont pas imposables chez le nu-propriétaire pendant la durée de l'usufruit (sauf revenus distribués par une société).
  • Les plus-values latentes ne sont pas taxées pendant la durée de l'usufruit, sauf en cas de vente du bien à l'initiative du nu-propriétaire.
  • La nue-propriété est exonérée d'IFI quelle que soit sa valeur, contrairement à la pleine propriété ou à l'usufruit.
  • En cas d'acquisition de la nue-propriété à titre onéreux, le nu-propriétaire peut déduire la valeur fiscale de l'usufruit pour le calcul des droits de mutation. Celle-ci varie de 30 à 90% de la valeur en pleine propriété selon l'âge de l'usufruitier.
  • En cas de cession ou de transmission de la nue-propriété, l'assiette taxable est limitée à la valeur fiscale de la nue-propriété (de 10 à 90% de la pleine propriété, par différence avec celle de l'usufruit).

On le voit, la fiscalité de l'usufruit est complexe et fluctuante, car elle dépend de nombreux paramètres : âge de l'usufruitier, mode d'acquisition, type de revenu, fait générateur...

Il est donc crucial de bien mesurer les incidences fiscales avant de consentir ou d'acquérir un usufruit, en se faisant conseiller par un notaire ou un avocat fiscaliste.

Guy Hoquet répond aux questions sur l'usufruit

L'usufruit confère le droit d'user d'un bien (usus), d'en percevoir les fruits (fructus) et les revenus, mais pas d'en disposer (abusus). Le droit d'usage et d'habitation est plus restreint : il permet seulement au bénéficiaire et à sa famille d'habiter un logement et d'user des meubles qui s'y trouvent, sans pouvoir le louer, ni le prêter.
La valeur de l'usufruit dépend de la durée de celui-ci et de la valeur du bien en pleine propriété. Pour un usufruit viager, elle est calculée selon un barème fiscal basé sur l'âge de l'usufruitier : 90% avant 21 ans, 80% avant 31 ans, 70% avant 41 ans, 60% avant 51 ans, 50% avant 61 ans, 40% avant 71 ans, 30% avant 81 ans, 20% avant 91 ans, 10% après 91 ans.
Non, l'usufruitier ne peut pas disposer du bien, c'est-à-dire le vendre, le donner ou l'hypothéquer sans l'accord du nu-propriétaire. Seul le propriétaire dispose de l'abusus, attribut essentiel du droit de propriété. En cas de vente, l'usufruitier ne peut céder que son droit d'usufruit, tandis que le nu-propriétaire peut vendre sa nue-propriété. Mais la vente de la pleine propriété nécessite l'accord des deux.
Au décès de l'usufruitier, l'usufruit s'éteint automatiquement et la pleine propriété se reconstitue entre les mains du nu-propriétaire, sans formalité particulière. Si l'usufruit a été consenti à plusieurs personnes successivement, il se transmet au bénéficiaire suivant jusqu'au dernier décès. C'est le cas par exemple de l'usufruit successif entre époux prévu par une donation au dernier vivant.
Non, l'usufruitier ne peut pas faire de travaux qui modifient la substance ou la destination du bien sans l'accord du nu-propriétaire. Il peut seulement réaliser des aménagements ou améliorations qui ne portent pas atteinte à l'intégrité du bien. En cas de travaux abusifs, le nu-propriétaire peut demander la suspension des travaux et la remise en état.

L’essentiel à retenir

  1. L'usufruit est un droit réel qui permet à son titulaire (l'usufruitier) d'utiliser un bien et d'en percevoir les fruits, sans en être le propriétaire.
  2. Il constitue un démembrement de propriété qui sépare les prérogatives du propriétaire entre l'usufruitier et le nu-propriétaire pour une durée limitée.
  3. Il peut être établi par la loi, une convention, un testament ou une décision de justice et prend fin au décès de l'usufruitier, au terme convenu ou à la perte du bien.
  4. L'usufruitier a des droits étendus (usage, jouissance, perception des revenus) mais aussi des obligations (entretien, charges, conservation de la substance du bien).
  5. L'usufruit entraîne une imposition spécifique pour l'usufruitier (revenus, plus-values, IFI) et des économies fiscales pour le nu-propriétaire. Un conseil patrimonial est recommandé.

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