La garantie décennale : une protection légale indispensable après un chantier
Vous venez de réceptionner des travaux de construction ou de rénovation ? Vous pensez être enfin tranquille et profiter de votre ouvrage sans mauvaise surprise ? Malheureusement, des malfaçons ou vices cachés graves peuvent apparaître plusieurs mois voire années après la fin du chantier.
Pour vous prémunir contre ces désordres, la loi vous fait bénéficier d'une "garantie décennale" qui engage la responsabilité de plein droit des constructeurs pendant 10 ans. Cette garantie d'ordre public couvre les dommages qui portent atteinte à la solidité ou à la destination de l'ouvrage.
Mais quels sont précisément les professionnels et les désordres concernés ? Quelles sont les conditions et les modalités de mise en jeu de cette garantie ? Et quels sont les recours en cas de défaillance des constructeurs ? Réponses par Guy Hoquet.
Définition : qu'est-ce que la garantie décennale ?
La garantie décennale est un régime de responsabilité légale pesant sur tout constructeur d'un ouvrage. Elle est prévue par l'article 1792 du Code civil depuis la loi Spinetta du 4 janvier 1978.
Son principe est le suivant : les constructeurs sont présumés responsables de plein droit des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination. Et ce pendant un délai de 10 ans à compter de la réception des travaux.
Les constructeurs concernés sont tous les professionnels liés au maître d'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage et ayant participé à la réalisation de l'ouvrage. Cela inclut notamment :
- L'architecte qui a conçu les plans
- Les entrepreneurs (maçon, charpentier, couvreur...) qui ont exécuté les travaux
- Les techniciens (ingénieur, bureau d'études...) qui ont effectué des études
- Les fabricants et importateurs de matériaux de construction (EPERS)
- Les contrôleurs techniques et coordinateurs SPS dans certains cas
La garantie s'applique aux éléments d'équipement indissociables de l'ouvrage (chauffage, électricité, plomberie, ascenseurs...) mais pas aux éléments d'équipement dissociables (meubles, électroménager...) qui relèvent de la garantie de bon fonctionnement biennale.
Les dommages couverts doivent présenter un certain degré de gravité. Il peut s'agir par exemple de fondations défectueuses, d'infiltrations en toiture, de fissures profondes sur la structure, d'affaissements de plancher, de non-conformités entraînant un danger... Seuls les dommages matériels sont garantis, pas les préjudices immatériels ou financiers. La garantie décennale est d'ordre public, ce qui signifie qu'elle s'applique même sans stipulation contractuelle et qu'elle ne peut pas être écartée ou limitée. Elle est aussi présumée, ce qui dispense le maître d'ouvrage de prouver la faute du constructeur.
Exemple : 5 ans après la construction de sa maison, Julien constate d'importantes fissures sur les murs porteurs et un décollement des tuiles en toiture entraînant des infiltrations. Son expert conclut à des vices de construction engageant la responsabilité décennale des entreprises ayant réalisé le gros oeuvre et la toiture. Julien les met en demeure d'effectuer les réparations nécessaires au titre de la garantie décennale. À défaut, il pourra faire réaliser les travaux à leurs frais, voire demander des dommages-intérêts en cas de préjudices supplémentaires (relogement, perte de loyers...).
Les conditions et modalités de mise en œuvre de la garantie décennale
Pour pouvoir invoquer la garantie décennale, plusieurs conditions doivent être réunies :
- Le dommage doit affecter un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil, c'est-à-dire une construction (bâtiment, maison...) ou un élément constitutif (mur, toiture, cloison...) réalisé par des professionnels.
- Il doit revêtir une certaine gravité, soit en compromettant la solidité de l'ouvrage (stabilité, sécurité...), soit en le rendant impropre à sa destination (dangerosité, inhabitabilité...).
- Il doit être postérieur à la réception des travaux, c'est-à-dire après la livraison de l'ouvrage au maître d'ouvrage manifestant son acceptation avec ou sans réserves.
- Il doit se manifester dans un délai de 10 ans après réception. Au-delà, le constructeur est libéré de la présomption de responsabilité (sauf dol).
- Il doit avoir une origine intrinsèque à l'ouvrage (défaut de conception, vices de construction, de matériaux...), et non être dû à l'usure, l'entretien ou un cas de force majeure.
Ces conditions sont appréciées au cas par cas en fonction des circonstances. En cas de doute sur leur réunion, il est prudent de recourir à un expert (architecte, ingénieur...) qui pourra qualifier les dommages et leur caractère décennal.
Concernant la procédure à suivre, la loi ELAN du 23 novembre 2018 a instauré un parcours de réclamation spécifique pour favoriser le règlement amiable et éviter de recourir d'emblée au juge :
- Dans un délai de 1 mois après la constatation des dommages, le maître d'ouvrage doit adresser aux constructeurs concernés (et à leurs assureurs) une demande de réparation écrite les invitant à remédier aux désordres. Cette démarche interrompt le délai décennal.
- Les constructeurs disposent d'un délai de 3 mois pour transmettre au maître d'ouvrage leur réponse écrite indiquant s'ils acceptent ou non la demande, et le cas échéant la nature et le calendrier des travaux qu'ils s'engagent à effectuer.
- Après réception des réponses ou à défaut de réponse sous 3 mois, les parties tentent de trouver un accord sur le principe et les modalités de réparation des dommages, éventuellement via un médiateur.
- En cas d'échec des négociations ou de silence persistant des constructeurs sous 15 jours, le maître d'ouvrage peut alors saisir le tribunal judiciaire pour faire constater les désordres, désigner un expert et condamner les responsables à réparer.
- En cas d'urgence ou de danger imminent, le maître d'ouvrage peut saisir le juge des référés pour ordonner des mesures conservatoires (mise en sécurité, travaux d'urgence) sans attendre l'expiration des délais de négociation.
En parallèle de ces démarches, le maître d'ouvrage peut activer son assurance dommages-ouvrage s'il en a souscrit une. L'assureur missionnera un expert et indemnisera les dommages décennaux sous 90 jours, avant de se retourner contre les constructeurs défaillants.
L'action en garantie décennale doit être engagée avant l'expiration du délai de 10 ans, sous peine de forclusion. Mais les constructeurs restent tenus de la garantie de droit commun (garantie contractuelle) pendant 10 ans supplémentaires pour les dommages évolutifs ou les actions récursoires.
L'articulation et les limites de la garantie décennale
La garantie décennale est le socle du système de responsabilités et d'assurances en matière de construction instauré par la loi Spinetta. Elle s'articule avec les autres garanties et recours du maître d'ouvrage :
- Les désordres réservés lors de la réception doivent d'abord être réparés au titre de la garantie de parfait achèvement pendant 1 an.
- Les désordres affectant des éléments d'équipement dissociables (volets, radiateurs...) relèvent de la garantie biennale de bon fonctionnement pendant 2 ans.
- Les dommages aux existants (parties anciennes affectées par un chantier) peuvent être couverts par une garantie de bon fonctionnement de 2 à 10 ans.
- Les dommages non couverts par la décennale peuvent engager la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs pendant 10 ans supplémentaires (art. 1231 et s. du Code civil).
- Les constructeurs doivent obligatoirement souscrire une assurance responsabilité civile décennale pour prendre en charge les sinistres décennaux et une assurance responsabilité civile professionnelle pour les autres dommages.
Mais la garantie décennale comporte aussi quelques limites et exclusions :
- Elle ne couvre que les ouvrages immobiliers au sens strict (bâtiments, VRD, canalisations...) et pas les ouvrages mobiliers, infrastructures de transport ou process industriels.
- Elle ne s'applique pas aux désordres apparents signalés à la réception et qui n'ont pas fait l'objet de réserves précises et circonstanciées.
- Elle exclut les dommages résultant de l'usure normale, du défaut d'entretien ou de l'usage anormal des ouvrages par le maître d'ouvrage.
- Elle écarte les dommages indirects et immatériels (préjudice esthétique, perte de loyers, trouble de jouissance...) qui doivent faire l'objet d'une indemnisation distincte (dommages-intérêts).
Malgré ses contraintes, la garantie décennale reste la protection ultime des maîtres d'ouvrage et acquéreurs face aux malfaçons et vices graves. Sa longue durée et son automaticité en font un pilier de la sécurité juridique et financière de la construction.
Guy Hoquet répond à vos questions sur la garantie décennale
La garantie décennale s'applique-t-elle aux travaux de rénovation ?
Les sous-traitants du constructeur principal sont-ils aussi tenus à la garantie décennale ?
En quoi la garantie décennale se distingue-t-elle de l'assurance dommages-ouvrage ?
Que faire si le constructeur responsable a disparu ou est insolvable ?
L'essentiel à retenir sur la garantie décennale
- La garantie décennale est une responsabilité légale pesant sur tous les constructeurs d'un ouvrage pendant 10 ans après la réception des travaux.
- Elle couvre les dommages graves qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, à l'exclusion des désordres superficiels ou dus au maître d'ouvrage.
- Pour être mise en œuvre, elle suppose un dommage postérieur à la réception et révélé dans les 10 ans, ainsi qu'une demande écrite du maître d'ouvrage aux constructeurs.
- En cas de refus ou de silence des constructeurs sous 3 mois, le maître d'ouvrage doit saisir le tribunal judiciaire avant l'expiration du délai décennal, sauf accord amiable. En urgence, il peut demander des mesures conservatoires au juge des référés.
- La garantie décennale s'articule avec les autres garanties légales (parfait achèvement, bon fonctionnement) et l'assurance obligatoire des constructeurs. Elle est complétée par l'assurance dommages-ouvrage souscrite par le maître d'ouvrage pour préfinancer les réparations.
La garantie décennale est le dernier filet de sécurité des maîtres d'ouvrage et acquéreurs face aux défauts les plus graves affectant un ouvrage. Malgré sa complexité de mise en œuvre, elle offre une protection forte et durable, gage de qualité et de responsabilité. Une garantie à connaître et à actionner sans hésiter !
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